Georges
Je ne me lassais pas de regarder Crilon d’en haut. De là où j’étais, on distinguait le Grand Lac de Tamanrae encerclé par ses hautes montagnes aux neiges éternelles. Un lac plus vaste que bien des mers de l’univers. Mais c’était de l’eau douce qui le remplissait, et les rivières qui le nourrissaient lui amenaient les poissons les plus savoureux que l’on puisse déguster.
Petit, mon père avait entrepris de m’enseigner l’art de la pêche. De notre famille, je n’avais jamais connu d’autre que lui. Pour cause, nous en étions les deux derniers représentants, et mes questions d’enfant sur l’absence d’une mère étaient toutes restées sans réponse. Je savais juste que mon père s’emplissait de tristesse lorsque j’essayais d’en parler. J’avais fini par ne plus aborder le sujet, et nous vivions heureux ainsi.
Mon apprentissage avait commencé par la reconnaissance des différents poissons que je triais sur l’embarcadère au retour du bateau. Je pêchais à la ligne aussi. J’aimais me poster sur les rochers à l’ombre des grands pins et regarder flotter mon bouchon pendant des heures. Avant même de savoir lire, j’étais devenu expert dans l’art d’attraper les plus beaux spécimens, et de les cuisiner. Quand j’eus enfin l’âge requis, mon père m’emmena avec lui écumer le lac sur le vieux chalutier familial. C’était un superbe bateau de bois, comme on en construisait désormais plus que sur des mondes reculés. Unique héritage de nos ancêtres, il nous avait été transmis de génération en génération.
Notre tradition aurait voulu que je devienne pêcheur à mon tour. Mais mon père comprit au fil des ans que j’aspirais à d’autres horizons. Le soir, après les longues journées sur le Lac, c’est en regardant les étoiles que je reprisais les filets. Un jour, lui disais-je, j’irais là-haut, et je prendrai les commandes d’un vaisseau tout aussi magnifique que ceux qui sillonnaient notre ciel. Je deviendrais un pilote au long cours et je m’en irais par les étoiles. Je me rêvais déjà en riche commerçant interplanétaire, tout de luxe vêtu et, pourquoi pas, ceignant le petit couteau doré distinctif de la caste des Hauts Marchands. Mais ce qui m’importait surtout, c’était de découvrir l’immensité de l’univers, de connaître des dizaines de mondes et de voir les soleils d’un peu plus près.
Mon père n’avait pas les moyens de payer mon inscription dans une des grandes écoles de pilotage de la marine marchande, et encore moins de m’offrir un cargo pour travailler à mon compte. Il me proposa d’entrer à l’école publique de la police orbitale. Elle était ouverte à tous et elle me donnerait une chance de m’asseoir aux commandes d’un intercepteur de patrouille. Évidemment, avec ça, pas de voyages intersidéraux. Mais ce serait déjà un début, un pied dans l’espace.
Le simple mot de «discipline » me hérissait le poil. Malgré tout, je savais que c’était pour moi le seul moyen de partir là-haut. Je résistais aux envies qui me prenaient régulièrement de flanquer ma main sur le visage de mes formateurs, si fiers de nous écraser, moi et mes camarades, sous leur autorité. Si fiers également de détenir un pouvoir sur les équipages des vaisseaux que nous contrôlions, et d’en abuser parfois pour en tirer profit.
Je fis de mon mieux pour accepter quelques compromis et aller au terme des deux incontournables années de formation. Simplement, il m’arrivait de commettre quelques excès les soirs où la pression des études et la nécessité de se plier aux règles m’étaient par trop insupportables.
C’est à cette époque que je pris goût à la Starwish, une boisson vendue en canettes que l’on pouvait consommer tout au long de la journée pour maintenir un juste niveau d’euphorie, ou l’ingurgiter en plus fortes doses jusqu’à atteindre une ébriété délicieuse. Cela me valut quelques avertissements, et manqua de peu de me faire renvoyer de l’école à la suite d’une rixe dans un bar.
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